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Chroniques
Georg Friedrich Händel
Saul | Saül
Avec Attilio Ariosti et Giovanni Bononcini, Georg Friedrich Händel (1685-1759) est un pilier de la Royal Academy of Music, compagnie au règne aussi bref qu’éclatant (1720-1729). Preuve en est que sur trente-quatre ouvrages commandés et joués, le natif de Saxe en signe quatorze, parmi lesquels trois chefs-d'œuvre successifs : Giulio Cesare in Egitto, Tamerlano (1724) et Rodelinda (1725). Mais la musique italienne finit par lasser, brocardée par des satires telle The beggar’s opera (1728) [lire notre critique du DVD]. Pour Händel, l’heure est venue de consacrer son talent à l’oratorio, genre dont il façonne le prototype avec la seconde version d’Esther (1718/1732).
Dès lors naîtront des ouvrages au rôle-titre emprunté à l’Ancien Testament : Deborah, Athalia (1733), Samson (1741), Belshazzar (1745), Joshua (1748), Susanna, Solomon (1749), Theodora (1750) ou encore Jephtha (1752). Pour sa part, Saul est composé d’après un texte de Charles Jennens durant l’été 1738, puis présenté au King’s Theatre (Londres) le 16 janvier 1739. Contrairement à bien de ses semblables, l’œuvre n’est pas tombée dans l’oubli au cours du siècle suivant, partageant cette particularité avec Messiah (1742). À l’instar de Pierre Degott (in notice Harmonia Mundi, 2005), d’aucuns y voir le fruit d’une instrumentation riche à laquelle s’ajoute la vision humanisée de personnages bibliques aux affects variés (amitié amoureuse, admiration, mépris, etc.). De plus, le musicologue rappelle que le public des premiers oratorios anglais suit l’audition sur un texte livrant des indications scéniques, « construisant ce faisant une forme de théâtre mental ».
Comme on le fit ces dernières années avec Belshazzar et Jephtha, en France notamment [lire nos chroniques du 24 mai 2011 et du 13 juin 2010], il n’est donc pas hérétique de présenter Saul sur scène, œuvre aussi dramatique que bien des opéras de son auteur. À Glyndebourne, en août 2015, Barrie Kosky l’aborde en « minimaliste extravagant », soucieux de magie théâtrale et d’efficacité émotionnelle (quelques ajouts de texte dynamisent l’ensemble). Un sol minéral, une nature morte digne de Goliath, des costumes contrastés signés Katrin Lea Tag ravissent l’œil d’emblée, sous la lumière picturale de Joachim Klein ; mais c’est le travail d’acteur qui fait l’essentiel d’un spectacle magnifique.
Admiré pour ses personnages complexes [lire notre critique des DVD The perfect American et Written on the skin], Christopher Purves excelle à rendre la bouffonnerie, la jalousie puis la folie du roi d’Israël, si proche de celle de Lear – lequel finissait aussi en sous-vêtement, dernièrement, chez Bieito… [lire notre chronique du 23 mai 2016]. Objet de désir et de haine, apathique et mystérieux, David trouve en Iestyn Davies une incarnation tendre, agile et habitée [lire nos chroniques du 26 juin et du 18 décembre 2012]. Paul Appleby (Jonathan) offre un ténor ample et stable, tandis que celui de Benjamin Hulett (Abner, Doeg, etc.) s’avère impacté, expressif et nuancé. Sophie Bevan (Michal) séduit par un legato généreux, mais Lucy Crowe (Merab) ne semble pas dans un bon jour (raideur, enrouement, etc.). Enfin John Graham-Hall est une sorcière d’Endor quasi chamanique, à l’apparition mémorable.
Aussi investi que le Glyndebourne Chorus préparé par Jeremy Bines, que les danseurs entraînés dans des ballets loufoques par Otto Pichler, l’Orchestra of the Age of Enlightenment donne à entendre, dès l’introduction, le classicisme d’un compositeur approchant le milieu du XVIIIe siècle. Brillant, élégant, gracieux, Ivor Bolton convainc comme il avait su le faire dans Deidamia [lire notre critique du DVD].
LB